P ValĂ©ry Ă©crit : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles; nous avions enÂŹtendu parler de mondes disparus tout entiers, d'emÂŹpires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins, descendus au fond Inexplorable des siĂšcles, avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et leurs dictionnaires, leurs classiques. leurs RĂ©servĂ© aux abonnĂ©s PubliĂ© le 25/05/2021 Ă  1923, Mis Ă  jour le 26/05/2021 Ă  1248 Boualem Sansal. Clairefond TRIBUNE - On sait que l’Ɠuvre de l’écrivain algĂ©rien, rĂ©putĂ© pour son indĂ©pendance d’esprit, qui vit en AlgĂ©rie envers et contre tout, rencontre un trĂšs vif succĂšs dans plusieurs pays europĂ©ens, en particulier en France et en Allemagne. Selon lui, notre pays souffre de ne plus se reconnaĂźtre. Pour faire face Ă  nos maux, Boualem Sansal nous invite Ă  redĂ©couvrir la pensĂ©e d’Ibn Khaldoun, historien arabe qui a mĂ©ditĂ© sur la naissance et sur la mort des empires. Auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages, Boualem Sansal a notamment publiĂ© Le Serment des barbares» Gallimard, 1999, Le Village de l’Allemand ou Le Journal des frĂšres Schiller» Gallimard, 2008, couronnĂ© par quatre prix, 2084. La Fin du monde» Gallimard, 2015, grand prix du roman de l’AcadĂ©mie française, et Le Train d’Erligen ou La MĂ©tamorphose de Dieu» Gallimard, 2019. Dernier roman paru Abraham ou La CinquiĂšme alliance» Gallimard, coll. Blanche», 2020, 288 p., 21 €.La rĂ©ponse est en grande partie dans la question. Si on se demande ce qu’on va devenir c’est qu’on se sait malade, condamnĂ©, perdu, et de plus, implicitement dit, incapable de nous en sortir par nous-mĂȘme. Il y a aussi, sous-jacent, comme un appel au secours. On espĂšre, on attend, on gĂ©mit pour inspirer la pitiĂ©, sachant bien cependant que nos amis et nos ennemis de par le monde ont leur propre vision des y a toujours beaucoup de rĂ©ponses dans les questions. Il faut juste les trouver. Ce que, en l’occurrence
 Cet article est rĂ©servĂ© aux abonnĂ©s. Il vous reste 90% Ă  libertĂ© c’est aussi d’aller Ă  la fin d’un Ă  lire votre article pour 0,99€ le premier mois DĂ©jĂ  abonnĂ© ? Connectez-vous À lire aussiYana Grinshpun L'affiche du Planning familial sur des ''hommes enceints'' utilise le langage pour promouvoir une idĂ©ologie de dĂ©construction de l'identité»ENTRETIEN - Analysant la campagne du Planning familial qui soutient que les hommes peuvent ĂȘtre enceints», la linguiste Yana Grinshpun livre une rĂ©flexion sur l'arme du discours dans les revendications militantes. Il ne sert plus Ă  se rĂ©fĂ©rer Ă  la rĂ©alitĂ© mais prĂ©tend la transformer, voici l'androcĂšne», la thĂ©orie de Sandrine Rousseau imputant la crise Ă©cologique... aux garçonsANALYSE - La dĂ©putĂ©e EELV publie, en compagnie de deux militantes, un court essai sur l'Ă©cofĂ©minisme intitulĂ© Par-delĂ  l'androcĂšne Seuil. Ce nĂ©ologisme entend lier et confondre, en une seule et mĂȘme oppression, racisme, colonialisme, sexisme et dĂ©rĂšglement Sorel La surreprĂ©sentation d'Ă©trangers parmi les auteurs de faits de dĂ©linquance constatĂ©e par Darmanin Ă©tait connue, mais le “politiquement correct” paralysait»ENTRETIEN - GĂ©rald Darmanin a dĂ©clarĂ© dans le JDD qu'il serait idiot de ne pas dire qu'il y a une part importante de la dĂ©linquance qui vient de personnes immigrĂ©es». Pour l'essayiste, il s'agit d'un fait avĂ©rĂ©, et le reconnaĂźtre est nĂ©cessaire, car cette rĂ©alitĂ© a Ă©tĂ© longtemps peu ou prou occultĂ©e. parPaul ValĂ©ry (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919). Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles. » L’équivocitĂ© de la rĂ©flexion de Paul ValĂ©ry, dans la Crise de l’esprit 1919, met Ă  la fois en perspective le caractĂšre vulnĂ©rable de cette civilisation qui se sait dĂ©sormais aussi fragile qu’une vie », comme l’écrit l’auteur quelques lignes plus loin ; et sa force lĂ©tale capable de porter la vie a des sommets de grandeur, la civilisation est Ă©galement aurĂ©olĂ©e d’une puissance de destruction insoupçonnable jusqu’alors. Si cette sentence a pu marquer le XXe siĂšcle et permettre d’interroger les totalitarismes qu’il a vu prospĂ©rer, elle semble s’appliquer avec plus de force encore Ă  l’aube de ce troisiĂšme millĂ©naire, qui voit, avec l’apparition du transhumanisme, se redessiner Ă  une vitesse vertigineuse les contours de l’humanitĂ© Ă  venir. De l’homme augmentĂ© au posthumain, le transhumanisme revĂȘt des visages multiples qui semblent cependant tous annoncer un bouleversement radical de la nature mĂȘme de l’humanitĂ© et l’on oscille entre la fascination et l’effroi devant les scĂ©narios de science-fiction qui nous sont prĂ©sentĂ©s. Ce mouvement culturel et intellectuel affirme qu’il est possible et dĂ©sirable d’amĂ©liorer fondamentalement la condition humaine en dĂ©veloppant et diffusant largement les techniques visant Ă  Ă©liminer le vieillissement et Ă  amĂ©liorer de maniĂšre significative les capacitĂ©s intellectuelles, physiques et psychologies de l’ĂȘtre humain » 1. La transformation de l’homme, envisagĂ©e au niveau individuel, ou par la crĂ©ation d’un humain augmentĂ© », qui constituerait une nouvelle espĂšce, une humanitĂ© + symbolisĂ© H+ dans l’hybridation qui est faite de l’homme et de la machine, peut affecter diffĂ©rentes facultĂ©s de l’ĂȘtre humain capacitĂ©s physiques ou cognitives, longĂ©vitĂ© ou immortalitĂ©. Si aucun irĂ©nisme ou aveuglement n’est permis face Ă  de tels enjeux, tant dans les politiques de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© internationale que dans le recours aux techniques bio-mĂ©dicales en vue de neuro-amĂ©lioration de la personne non malade », on peine cependant Ă  dĂ©mĂȘler les faits des oracles de certaines pythies contemporaines. C’est la caractĂ©ristique premiĂšre de la technologie, Ă©crit Don DeLillo, d’un cĂŽtĂ© elle suscite un appĂ©tit d’immortalitĂ©, de l’autre elle provoque la peur de l’extinction universelle » 2. À la fragilitĂ© de la vie, Ă  la vulnĂ©rabilitĂ© de l’existence qui apparaĂźt avec tant de force aprĂšs les ravages du XXe siĂšcle ou en des temps de crise Ă©cologique que l’on nous prĂ©sente comme sans prĂ©cĂ©dent, le transhumanisme rĂ©pond avec de mirifiques promesses de vie Ă©ternelle
 mais il semble dans le mĂȘme temps annoncer une aliĂ©nation radicale aux diffĂ©rentes technologies. La dĂ©couverte de ce Nouveau Monde nous rĂ©servera-t-elle le mĂȘme traitement qu’aux derniers natifs des terres conquises ? Pourtant dĂ©fenseurs de la recherche et du progrĂšs, Bill Gates ou Stephen Hawking s’inquiĂštent de l’avĂšnement d’une superintelligence artificielle capable de pulvĂ©riser notre espĂšce. Si nous ne voulons pas ĂȘtre obsolĂštes dĂšs la naissance, si nous voulons rester les ĂȘtres les plus Ă©voluĂ©s, nous faut-il devenir des robots nous aussi ? PĂ©riode de rupture fondamentale, comment notre dĂ©but de troisiĂšme millĂ©naire sera-t-il jugĂ© par la postĂ©ritĂ© ? Quelle forme prendra cette postĂ©ritĂ© et surtout, de quel jugement sera-t-elle capable ? Accro aux nouvelles technologies Il importe de distinguer au sein du discours profĂ©rĂ© sur l’intelligence artificielle IA et sur l’évolution des nano et biotechnologies, les progrĂšs scientifiques rĂ©els, de la prophĂ©tie que certains prĂȘtres du techno-progressisme font passer pour imminente. De fait, l’irruption de l’intelligence artificielle dans nos vies n’est plus une option que l’on pourrait dĂ©cocher, un interrupteur que l’on aurait encore le loisir d’éteindre
elle est devenue indispensable, nĂ©cessaire, elle prend forme de dĂ©terminisme. Tout le monde est accro aux nouvelles technologies sans forcĂ©ment s’en rendre compte on regarde en moyenne 150 fois par jour son tĂ©lĂ©phone portable. Il existe d’ailleurs un droit Ă©lĂ©mentaire Ă  la connexion comme il existe un droit Ă  l’électricitĂ©. Les opĂ©rateurs ne peuvent arrĂȘter brutalement la connexion d’un client insolvable, mais seulement rĂ©duire son dĂ©bit, comme un fournisseur d’électricitĂ© doit en assurer une fourniture minimale. Chacun de nous informe et nourrit la pieuvre tentaculaire des GAFA Google, Apple, Facebook, Amazon et des BATX chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, par l’ensemble des donnĂ©es que nous leur fournissons. Cependant on ne peut accorder un crĂ©dit absolu aux chantres de ce que l’on appelle l’ Ăšre de la singularitĂ© » prise au sens large, cette expression dĂ©signe un avenir dans lequel l’intelligence des machines dĂ©passera allĂšgrement celle des humains qui les ont créées, actant dĂ©finitivement la fusion entre la vie technologique et la vie biologique avec comme promesse ultime la rĂ©solution des problĂšmes humains les plus complexes ; cette dĂ©claration radicale de techno-progressisme exerce une influence patente sur la culture de la Silicon Valley et ainsi sur l’imaginaire liĂ© aux nouvelles technologies. Si ces scientifiques disposent de moyens humains et financiers exorbitants leur permettant de travailler activement au monde qu’ils appellent de leurs vƓux, il semble cependant nĂ©cessaire de s’attacher Ă  la chronologie afin de dĂ©mĂȘler le prophĂ©tique du scientifique. On peut, schĂ©matiquement, retenir quatre formes d’intelligence artificielle. C’est la partition que propose le Dr Laurent Alexandre dans La guerre des intelligences, intelligence artificielle versus intelligence humaine 3. De 1960 Ă  2010 apparaĂźt une premiĂšre forme d’IA lorsque les algorithmes sont programmĂ©s manuellement. C’est ce systĂšme que l’on trouve lorsqu’il s’agit par exemple de coder un site internet. À partir de 2012 apparaĂźt le deep learning qui commence Ă  dĂ©passer l’homme sur des taches bien spĂ©cifiques, par exemple en reconnaissance visuelle. Il s’éduque plus qu’il ne se programme ce qui donne une force terrible aux GAFA et aux BATX. Selon Laurent Alexandre, il peut concurrencer un radiologue mais pas un gĂ©nĂ©raliste. Il lui manque pour cela la mĂ©moire et la transversalitĂ©, troisiĂšme forme d’intelligence qui Ă©merge doucement mais ne sera opĂ©rationnelle que vers 2030. Celle-ci pourrait se faire passer pour un homme, ce qui pose de redoutables problĂšmes de sĂ©curitĂ©. La quatriĂšme forme de l’intelligence artificielle n’est en revanche pas encore apparue elle est celle de tous les scĂ©narios de science-fiction. Elle serait l’apparition d’une conscience artificielle, IA dite forte, c’est-Ă -dire capable de conscience de soi et de sentiments. La date de son Ă©mergence est l’objet de querelles irrationnelles et messianiques chez les spĂ©cialistes. Aujourd’hui, Ă©crit Laurent Alexandre, l’IA ressemble encore Ă  un autiste atteint d’une forme grave d’Asperger qui peut apprendre le bottin tĂ©lĂ©phonique par cƓur ou faire des calculs prodigieux de tĂȘte mais est incapable de prĂ©parer un cafĂ©. » On peut donc s’interroger sur la performativitĂ© de telles prophĂ©ties les ordinateurs deviendront-ils un jour des ĂȘtres conscients ou ne seront-ils jamais que des calculateurs sophistiquĂ©s incapables de toute Ă©motion ? L’incohĂ©rence fondamentale et pourtant Ă©lĂ©mentaire qui semble cantonner ce scĂ©nario Ă  un horizon dont on s’approche sans jamais l’atteindre est l’idĂ©e selon laquelle le vivant pourrait ĂȘtre compris Ă  l’aide d’un modĂšle mĂ©canique. C’est un paradigme technicien qui prĂ©side Ă  la rĂ©flexion transhumaniste. Pour que l’esprit puisse ĂȘtre tĂ©lĂ©chargeable dans une machine, encore faudrait-il qu’il soit matĂ©riel. Cette idĂ©ologie prĂ©suppose que l’on puisse rĂ©duire l’homme Ă  ses donnĂ©es biologiques et que l’on puisse rĂ©duire le vivant Ă  l’information qui le structure puisqu’un code gĂ©nĂ©tique est Ă  l’origine du vivant, il doit ĂȘtre possible d’en Ă©tablir un codage informatique. De l’ADN aux donnĂ©es informatiques il n’y a donc qu’un pas. Ainsi, Ray Kurzweil, fervent zĂ©lateur du transhumanisme, Ă©crit que nos corps biologiques version sont fragiles et sujets Ă  quantitĂ© de dysfonctionnements, sans mentionner les laborieux rituels de maintenance qu’ils requiĂšrent ». L’ordinateur n’est pas compris par anthropomorphisme mais c’est l’homme auquel on applique un vocabulaire informatique. Cette conception mĂ©caniciste du systĂšme se fonde sur une permanente quĂȘte d’amĂ©lioration du processus et procĂšde donc d’une logique de l’artefact qui ignore que nous serons toujours devant le vivant comme devant un mystĂšre, condamnĂ©s Ă  nous rĂ©pandre en hypothĂšses sur sa constitution sans maĂźtriser les complexitĂ©s d’une totalitĂ© qui ne peut se rĂ©duire Ă  la somme de ses parties. Mieux masquer nos asservissements Si les idĂ©es de crĂ©er une conscience artificielle ou d’abolir la mort sont bien lointaines, sans doute participent-elles de cette sidĂ©ration mĂ©dusĂ©e devant les pythies du transhumanisme qui nous fait oublier l’aliĂ©nation quotidienne qui est la nĂŽtre. Le transhumanisme nous promet des lendemains qui chantent pour mieux masquer nos rĂ©veils entre smartphone et ordinateur. De fait, c’est un vĂ©ritable asservissement Ă  la machine qui s’orchestre sous prĂ©texte de permettre notre libĂ©ration des lois de la nature. Nous sommes dĂ©sorientĂ©s dans un monde oĂč le GPS pense Ă  notre place, incapables d’écrire français pour avoir trop usĂ© de la correction orthographique et les femmes congĂšlent leurs ovocytes pour ĂȘtre rentables plus longtemps
 Le transhumanisme ne cesse d’en appeler Ă  l’imaginaire de la souverainetĂ© individuelle mais ne laisse prĂ©sager qu’une radicalisation de l’aliĂ©nation », Ă©crit Olivier Rey dans Leurre et Malheurs du transhumanisme 4. Pire, sans doute le transhumanisme n’est-il pas un progrĂšs mais la solution d’un problĂšme dĂ» Ă  la technique demain des robots de Calico, complexe de biotechnologies appartenant Ă  Google, permettront de lutter contre les formes autistiques dues Ă  l’usage abusif des NTIC 5 des jeunes japonais en leur tenant compagnie. C’est le sens des cyborgs cybernĂ©tic organism qui ont pour but de modifier les fonctions corporelles de l’homme pour rĂ©pondre aux exigences des environnements extraterrestres ». L’homme augmentĂ© n’est que le produit d’un monde ravagĂ© c’est la situation diminuĂ©e de l’homme contemporain qui rend allĂ©chantes les perspectives transhumanistes. Heidegger le prĂ©disait, on ne guĂ©rit de la technique que par la technique. Olivier Rey met en exergue les trois stratĂ©gies employĂ©es afin d’imposer le transhumanisme on commence par faire danser devant vos yeux les promesses d’un transhumanisme messianique demain, la mort sera abolie et votre corps invulnĂ©rable. La deuxiĂšme stratĂ©gie est la banalisation si vous refusez le transhumanisme, alors ne portez plus de lunettes, d’oreillettes ni de prothĂšses, n’utilisez plus rien qui transforme votre rapport au monde par l’artifice. Enfin on vous impose la fatalitĂ© Vous ĂȘtes embarquĂ©s », on ne peut refuser l’inĂ©luctable marche du progrĂšs. Olivier Rey montre nĂ©anmoins que plus le monde va mal, plus il faut abreuver les populations de promesses Ă©poustouflantes Les promesses transhumanistes ne sont pas destinĂ©es Ă  se rĂ©aliser. Mieux vaut donc ne pas perdre son temps Ă  s’émerveiller ou s’épouvanter du futur qu’elles dessinent. Leur vĂ©ritable nocivitĂ© est ailleurs elle rĂ©side dans leur facultĂ© Ă  captiver l’esprit, Ă  le divertir de ce dont il devrait se soucier. Pour faire face Ă  ce qui nous attend, l’urgence serait de diminuer notre dĂ©pendance Ă  la technologie » 6. PrĂ©sentĂ© comme le choix par lequel on surpasserait une nature limitĂ©e pour se faire crĂ©ateur affranchi des servitudes biologiques, le transhumanisme prĂ©tend cependant ĂȘtre une fatalitĂ©. C’est du moins sur cet apparent dĂ©terminisme que se fonde l’aspect messianique de cette idĂ©ologie. À bien des Ă©gards le transhumanisme s’inscrit dans la droite ligne des matĂ©rialismes historiques et biologiques qui ont prĂ©sidĂ© aux idĂ©ologies du XXe siĂšcle. Ainsi la rĂ©duction matĂ©rialiste s’accomplit par cette double rĂ©duction de toute spiritualitĂ© Ă  de la matiĂšre et de toute matiĂšre Ă  de l’information. Tout n’est que Data et ce Data nous gouverne. VoilĂ  sur quel paradigme mĂ©caniciste elle se fonde chez Marvin Minsky, pour qui le cerveau se rĂ©sume Ă  une machine de viande ». Si l’on envisage la machine comme un dispositif conçu pour accomplir une tĂąche de maniĂšre optimale, alors le but notre cerveau en tant que machine de viande » est d’accroĂźtre au maximum nos capacitĂ©s cognitives. AmĂ©liorer notre potentiel computationnel serait notre devoir, ou du moins notre raison d’ĂȘtre, impliquant de tout mettre en Ɠuvre pour fonctionner le plus longtemps et le plus efficacement possible. L’ex-Union soviĂ©tique voit donc ses fantasmagories prolongĂ©es par le geste transhumain. Il ne s’agit plus de prendre un corps blessĂ© et de le guĂ©rir mais d’en faire un surhomme. Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en un siĂšcle, pas davantage, paraĂźt en proie Ă  la rĂ©volte contre l’existence humaine telle qu’elle est donnĂ©e, cadeau venu de nulle part laĂŻquement parlant et qu’il veut pour ainsi dire Ă©changer contre un ouvrage de ses propres mains. » Ainsi s’exprime Hannah Arendt dans la Condition de l’homme moderne 1958. Le transhumanisme dĂ©coule en effet d’une rĂ©bellion contre la nature humaine, finie, limitĂ©e, pulsionnelle. Il procĂšde ainsi du mĂȘme mouvement que le collectif LGBTQI ou la logique antispĂ©ciste. RedĂ©finissant les limites de l’humain, il dessine le visage d’une post-humanitĂ© qui s’avĂšre plutĂŽt ĂȘtre une inhumanitĂ©. ImmergĂ©s dans le Styx afin d’ĂȘtre rendus invulnĂ©rables, c’est sans doute dans ce refus de la vulnĂ©rabilitĂ© que rĂ©side le talon d’Achille des transhumanistes. Lorsque l’on sait combien l’intelligence Ă©motionnelle des enfants ayant grandi en prĂ©sence d’une personne handicapĂ©e peut se dĂ©velopper, il semble fondamental de prĂ©server ce qui fait le propre de notre humanitĂ©. La vulnĂ©rabilitĂ© de notre incarnation est la condition du prix de l’existence. Face Ă  cette idĂ©ologie de la virtualisation apparaĂźt urgente la contemplation de la PrĂ©sence RĂ©elle
 qui seule triomphe de la mort. Maylis de BonniĂšres 1 The Transhumanist Declaration. 2 Bruit de fond, Stock, 1986 rééd. Actes Sud, 2001. 3 JC LattĂšs, 2017. 4 DesclĂ©e de Brouwer, 2018. 5 Nouvelles technologies de l’information et de la communication. 6 Ibid. © LA NEF n°312 Mars 2019
Introduction: « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Cette phrase cĂ©lĂšbre, rĂ©digĂ©e par Paul ValĂ©ry en 1919 figure dans un essai, publiĂ© Ă  la NFR, Ă©tant intitulĂ© La crise de L’Esprit, qui par ailleurs sert de dĂ©but de phrase Ă  son texte philosophique VariĂ©tĂ© I. La date indiquĂ©e nous indique dĂ©jĂ  le contexte histoire, nous sommes Ă  un an de la
La pandĂ©mie du coronavirus souligne non seulement “ l’insoutenable lĂ©gĂšretĂ© de l’ĂȘtre” mais de notre civilisation postmoderne et postindustrielle. Est-il concevable que, malgrĂ© les progrĂšs de la mĂ©decine, nous soyons rĂ©duits Ă  nous calfeutrer chez nous pour prĂ©venir la propagation de la maladie ? Que resurgissent les grandes peurs, comme celles que provoquait la peste au Moyen-Ăąge ? Grandeur et misĂšre de la condition humaine ! Les dieux ont-ils voulu punir les hommes d'avoir voulu les Ă©galer aprĂšs les avoir mis Ă  mort ? L'avĂšnement d'un " Homo deus" prophĂ©tisĂ© par Shlomo Sand paraĂźt bien lointain face au cataclysme viral de dimension biblique qui frappe aujourd’hui l’humanitĂ©. L’histoire nous apprend qu’aprĂšs les grandes crises il n’y a jamais fermeture de la parenthĂšse. Il y aura certes un jour d’aprĂšs. Mais l’ampleur de la crise Ă©conomique, sociale et politique pourrait nous mener vers un monde diffĂ©rent. A cela s’ajouter les risques d’une crise morale comparable Ă  celle qui s’est produite aprĂšs chacune des deux guerres mondiales qui ont Ă©tĂ© un choc pour l’idĂ©e de progrĂšs et de la croyance en un monde meilleur. Il a suffi d’un grain de sable pour gripper le mĂ©canisme de notre Ă©conomie mondialisĂ©e ; plus fragile parce que plus interconnectĂ©e que par le passĂ©. Le Fond MonĂ©taire International estime mĂȘme que le coronavirus pourrait engendrer les pires consĂ©quences Ă©conomiques au niveau mondial depuis la grande crise de 1929. Cette rĂ©cession va probablement freiner le processus de mondialisation, et de libre circulation des biens. Elle risque d’exacerber la guerre Ă©conomique entre la Chine d'une part et les Etats-Unis et l'Europe d'autre part. Ces derniers voudront sans doute amoindrir leur dĂ©pendance envers la Chine en relocalisant certaines industries. Quand l’Empire du Milieu avait le monopole de la production de la soie, il prit des mesures drastiques afin d’empĂȘcher l'exportation de ce savoir-faire, avant que des marchands italiens ne parviennent finalement Ă  en dĂ©rober le secret Ă  la fin du Moyen-Ăąge. Plus naĂŻf, l'Occident a permis au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies Ă  la Chine de piller ses technologies et d’accumuler un excĂ©dent commercial colossal Ă  son dĂ©triment. Donald Trump a Ă©tĂ© le premier Ă  prendre la mesure de ce danger. L'Europe lui emboĂźtera-t-elle le pas ? La maitrise dont a fait preuve la Chine pour juguler l’épidĂ©mie est en tout cas un indice rĂ©vĂ©lateur du dĂ©fi grandissant que pose Ă  l’Occident son modĂšle autoritaire, sa puissance Ă©conomique et ses avancĂ©es technologiques, ainsi que du dĂ©placement du centre de gravitĂ© du monde vers l'Empire du plan politique, la crise a rĂ©vĂ©lĂ© Ă  la fois les limites de la gouvernance mondiale dans le cadre de l'utopie appelĂ©e " communautĂ© internationale" et des gestes de solidaritĂ© de la part de certains pays, contrastant avec le repli nationaliste et Ă©goĂŻste d’autres pays. C’est ainsi par exemple que Cuba, la Chine et la Russie ont envoyĂ© des Ă©quipes mĂ©dicales pour aider l'Italie Ă  lutter contre le coronavirus, contrairement Ă  ses voisins et partenaires au sein de l'Union EuropĂ©enne l'Allemagne et la France, ce qui a suscitĂ© une profonde amertume de la part des Italiens. Certes finalement les membres de l’Union EuropĂ©enne sont parvenus Ă  un accord sur un fond de soutien commun Ă  l’économie qualifiĂ© de grand jour pour la solidaritĂ© europĂ©enne » par Berlin. Il n’en reste pas moins que la pandĂ©mie qui a surtout frappĂ© l’Italie et l’Espagne montre la fracture bĂ©ante entre les pays du Nord et du Sud de l’Union EuropĂ©enne dĂ©jĂ  Ă©branlĂ©e par le Brexit. Au niveau individuel, selon Boris Cyrulnik Il y a deux catĂ©gories de gens ceux qui vont souffrir du confinement et ceux qui le vivent comme une forme de ressourcement » Provoquera-t-il chez eux un changement de valeurs, de paradigmes ? Une revalorisation d’un mode de vie d’avantage en harmonie avec soi-mĂȘme, les autres et la nature. Au niveau global y aura-t-il un monde d’avant et d’aprĂšs la catastrophe ? Une remise en question du modĂšle Ă©conomique nĂ©olibĂ©ral ? Une rĂ©affirmation de la souverainetĂ© de l’Etat et un renforcement de la compĂ©tition entre Etats, ou au contraire une prise de conscience de la nĂ©cessitĂ© d’une meilleure coopĂ©ration face aux dĂ©fis communs qu’affronte l’humanitĂ© ? S’ajoutant au rĂ©chauffement climatique dĂ©noncĂ© par sa jeune Cassandre, la crise provoquĂ©e par le coronavirus montre en tout cas qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond sur notre petite planĂšte. Et les habitants desautres planĂštes de notre galaxie doivent se rĂ©jouir que les hommes n'aient pas encore inventĂ© des vaisseaux spatiaux capables d'arriver jusqu’à reineabbas
PaulValéry a dit Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles (1919) Pensez-vous comme lui que les civilisations sont mortelles ? Les civilisations sont construites pour durer, il est vrai que nous n'imaginons pas notre propre mort.
La longue, l’inĂ©puisable durĂ©e des civilisations Un texte classique de Fernand Braudel Fernand Braudel
 Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel Histoire des Civilisations le passĂ© explique le prĂ©sent » publiĂ© en 1959 dans L’encyclopĂ©die française et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire Paris, Éditions de Fallois, 1997. Ce que l’historien des civilisations peut affirmer, mieux qu’aucun autre, c’est que les civilisations sont des rĂ©alitĂ©s de trĂšs longue durĂ©e. Elles ne sont pas mortelles , Ă  l’échelle de notre vie individuelle surtout, malgrĂ© la phrase trop cĂ©lĂšbre de Paul ValĂ©ry. Je veux dire que les accidents mortels, s’ils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent qu’on ne le pense. Dans bien des cas, il ne s’agit que de mises en sommeil. D’ordinaire, ne sont pĂ©rissables que leurs fleurs les plus exquises, leurs rĂ©ussites les plus rares, mais les racines profondes subsistent au-delĂ  de bien des ruptures, de bien des hivers. RĂ©alitĂ©s de longue, d’inĂ©puisable durĂ©e, les civilisations, sans fin rĂ©adaptĂ©es Ă  leur destin, dĂ©passent donc en longĂ©vitĂ© toutes les autres rĂ©alitĂ©s collectives; elles leur survivent. De mĂȘme que, dans l’espace, elles transgressent les limites des sociĂ©tĂ©s prĂ©cises qui baignent ainsi dans un monde rĂ©guliĂšrement plus vaste qu’elles-mĂȘmes et en reçoivent, sans toujours en ĂȘtre conscientes, une impulsion, des impulsions particuliĂšres, de mĂȘme s’affirme dans le temps, Ă  leur bĂ©nĂ©fice, un dĂ©passement que Toynbee a bien notĂ© et qui leur transmet d’étranges hĂ©ritages, incomprĂ©hensibles pour qui se contente d’observer, de connaĂźtre le prĂ©sent » au sens le plus Ă©troit. Autrement dit, les civilisations survivent aux bouleversements politiques, sociaux, Ă©conomiques, mĂȘme idĂ©ologiques que, d’ailleurs, elles commandent insidieusement, puissamment parfois. La RĂ©volution française n’est pas une coupure totale dans le destin de la civilisation française, ni la RĂ©volution de 1917 dans celui de la civilisation russe, que certains intitulent, pour l’élargir encore, la civilisation orthodoxe orientale. Je ne crois pas davantage, pour les civilisations s’entend, Ă  des ruptures ou Ă  des catastrophes sociales qui seraient irrĂ©mĂ©diables. Donc, ne disons pas trop vite, ou trop catĂ©goriquement, comme Charles Seignobos le soutenait un jour 1938 dans une discussion amicale avec l’auteur de ces lignes, qu’il n’y a pas de civilisation française sans une bourgeoisie, ce que Jean Cocteau traduit Ă  sa façon La bourgeoisie est la plus grande souche de France
 Il y a une maison, une lampe, une soupe, du feu, du vin, des pipes, derriĂšre toute oeuvre importante de chez nous. » Et cependant, comme les autres, la civilisation française peut, Ă  la rigueur, changer de support social, ou s’en crĂ©er un nouveau. En perdant telle bourgeoisie, elle peut mĂȘme en voir pousser une autre. Tout au plus changerait-elle, Ă  cette Ă©preuve, de couleur par rapport Ă  elle-mĂȘme, mais elle conserverait presque toutes ses nuances ou originalitĂ©s par rapport Ă  d’autres civilisations; elle persisterait, en somme, dans la plupart de ses vertus » et de ses erreurs ». Du moins, je l’imagine
 Aussi bien, pour qui prĂ©tend Ă  l’intelligence du monde actuel, Ă  plus forte raison pour qui prĂ©tend y insĂ©rer une action, c’est une tĂąche payante » que de savoir discerner, sur la carte du monde, les civilisations aujourd’hui en place, en fixer les limites, en dĂ©terminer les centres et pĂ©riphĂ©ries, les provinces et l’air qu’on y respire, les formes » particuliĂšres et gĂ©nĂ©rales qui y vivent et s’y associent. Sinon, que de dĂ©sastres ou de bĂ©vues en perspective! Dans cinquante, dans cent ans, voire dans deux ou trois siĂšcles, ces civilisations seront encore, selon toute vraisemblance, Ă  peu prĂšs Ă  la mĂȘme place sur la carte du monde, que les hasards de l’Histoire les aient, ou non, favorisĂ©es, toutes choses Ă©gales d’ailleurs, comme dit la sagesse des Ă©conomistes, et sauf Ă©videmment si l’humanitĂ©, entre-temps, ne s’est pas suicidĂ©e, comme malheureusement elle en a, dĂšs aujourd’hui, les moyens. Ainsi notre premier geste est de croire Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, Ă  la diversitĂ© des civilisations du monde, Ă  la permanence, Ă  la survie de leurs personnages, ce qui revient Ă  placer au premier rang de l’actuel cette Ă©tude de rĂ©flexes acquis, d’attitudes sans grande souplesse, d’habitudes fermes, de goĂ»ts profonds qu’explique seule une histoire lente, ancienne, peu consciente tels ces antĂ©cĂ©dents que la psychanalyse place au plus profond des comportements de l’adulte. Il faudrait qu’on nous y intĂ©resse dĂšs l’école, mais chaque peuple prend trop de plaisir Ă  se considĂ©rer dans son propre miroir, Ă  l’exclusion des autres. En vĂ©ritĂ©, cette connaissance prĂ©cieuse reste assez peu commune. Elle obligerait Ă  considĂ©rer en dehors de la propagande, valable seulement, et encore, Ă  court terme tous les graves problĂšmes des relations culturelles, cette nĂ©cessitĂ© de trouver, de civilisation Ă  civilisation, des langages acceptables qui respectent et favorisent des positions diffĂ©rentes, peu rĂ©ductibles les unes aux autres. Et pourtant, tous les observateurs, tous les voyageurs, enthousiastes ou maussades, nous disent l’uniformisation grandissante du monde. DĂ©pĂȘchons-nous de voyager avant que la terre n’ait partout le mĂȘme visage! En apparence, il n’y a rien Ă  rĂ©pondre Ă  ces arguments. Hier, le monde abondait en pittoresque, en nuances; aujourd’hui toutes les villes, tous les peuples se ressemblent d’une certaine maniĂšre Rio de Janeiro est envahi depuis plus de vingt ans par les gratte-ciel; Moscou fait penser Ă  Chicago; partout des avions, des camions, des autos, des voies ferrĂ©es, des usines; les costumes locaux disparaissent, les uns aprĂšs les autres
 Cependant, n’est-ce pas commettre, au-delĂ  d’évidentes constatations, une sĂ©rie d’erreurs assez graves? Le monde d’hier avait dĂ©jĂ  ses uniformitĂ©s; la technique et c’est elle dont on voit partout le visage et la marque n’est assurĂ©ment qu’un Ă©lĂ©ment de la vie des hommes, et surtout, ne risquons-nous pas, une fois de plus, de confondre la et les civilisations ? La terre ne cesse de se rĂ©trĂ©cir et, plus que jamais, voilĂ  les hommes sous un mĂȘme toit » Toynbee, obligĂ©s de vivre ensemble, les uns sur les autres. A ces rapprochements, ils doivent de partager des biens, des outils, peut-ĂȘtre mĂȘme certains prĂ©jugĂ©s communs. Le progrĂšs technique a multipliĂ© les moyens au service des hommes. Partout la civilisation offre ses services, ses stocks, ses marchandises diverses. Elle les offre sans toujours les donner. Si nous avions sous les yeux une carte des rĂ©partitions des grosses usines, des hauts fourneaux, des centrales Ă©lectriques, demain des usines atomiques, ou encore une carte de la consommation dans le monde des produits modernes essentiels, nous n’aurions pas de peine Ă  constater que ces richesses et que ces outils sont trĂšs inĂ©galement rĂ©partis entre les diffĂ©rentes rĂ©gions de la terre. Il y a, ici, les pays industrialisĂ©s, et lĂ , les sous-dĂ©veloppĂ©s qui essaient de changer leur sort avec plus ou moins d’efficacitĂ©. La civilisation ne se distribue pas Ă©galement. Elle a rĂ©pandu des possibilitĂ©s, des promesses, elle suscite des convoitises, des ambitions. En vĂ©ritĂ©, une course s’est instaurĂ©e, elle aura ses vainqueurs, ses Ă©lĂšves moyens, ses perdants. En ouvrant l’éventail des possibilitĂ©s humaines, le progrĂšs a ainsi Ă©largi la gamme des diffĂ©rences. Tout le peloton se regrouperait si le progrĂšs faisait halte ce n’est pas l’impression qu’il donne. Seules, en fait, les civilisations et les Ă©conomies compĂ©titives sont dans la course. Bref, s’il y a, effectivement, une inflation de la civilisation, il serait puĂ©ril de la voir, au-delĂ  de son triomphe, Ă©liminant les civilisations diverses, ces vrais personnages, toujours en place et douĂ©s de longue vie. Ce sont eux qui, Ă  propos de progrĂšs, engagent la course, portent sur leurs Ă©paules l’effort Ă  accomplir, lui donnent, ou ne lui donnent pas un sens. Aucune civilisation ne dit non Ă  l’ensemble de ces biens nouveaux, mais chacune lui donne une signification particuliĂšre. Les gratte-ciel de Moscou ne sont pas les buildings de Chicago. Les fourneaux de fortune et les hauts fourneaux de la Chine populaire ne sont pas, malgrĂ© des ressemblances, les hauts fourneaux de notre Lorraine ou ceux du BrĂ©sil de Minas Gerais ou de Volta Redonda. Il y a le contexte humain, social, politique, voire mystique. L’outil, c’est beaucoup, mais l’ouvrier, c’est beaucoup aussi, et l’ouvrage, et le coeur que l’on y met, ou que l’on n’y met pas. Il faudrait ĂȘtre aveugle pour ne pas sentir le poids de cette transformation massive du monde, mais ce n’est pas une transformation omniprĂ©sente et, lĂ  oĂč elle s’accomplit, c’est sous des formes, avec une ampleur et une rĂ©sonance humaine rarement semblables. Autant dire que la technique n’est pas tout, ce qu’un vieux pays comme la France sait, trop bien sans doute. Le triomphe de la civilisation au singulier, ce n’est pas le dĂ©sastre des pluriels. Pluriels et singulier dialoguent, s’ajoutent et aussi se distinguent, parfois Ă  l’oeil nu, presque sans qu’il soit besoin d’ĂȘtre attentif. Sur les routes interminables et vides du Sud algĂ©rien, entre Laghouat et GhardaĂŻa, j’ai gardĂ© le souvenir de ce chauffeur arabe qui, aux heures prescrites, bloquant son autocar, abandonnait ses passagers Ă  leurs pensĂ©es et accomplissait, Ă  quelques mĂštres d’eux, ses priĂšres rituelles
 Ces images, et d’autres, ne valent pas comme une dĂ©monstration. Mais la vie est volontiers contradictoire le monde est violemment poussĂ© vers l’unitĂ©; en mĂȘme temps, il reste fondamentalement divisĂ©. Ainsi en Ă©tait-il hier dĂ©jĂ  unitĂ© et hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© cohabitaient vaille que vaille. Pour renverser le problĂšme un instant, signalons cette unitĂ© de jadis que tant d’observateurs nient aussi catĂ©goriquement qu’ils affirment l’unitĂ© d’aujourd’hui. Ils pensent qu’hier le monde Ă©tait divisĂ© contre lui-mĂȘme par l’immensitĂ© et la difficultĂ© des distances montagnes, dĂ©serts, Ă©tendues ocĂ©aniques, Ă©charpes forestiĂšres constituaient autant de barriĂšres rĂ©elles. Dans cet univers cloisonnĂ©, la civilisation Ă©tait forcĂ©ment diversitĂ©. Sans doute. Mais l’historien qui se retourne vers ces Ăąges rĂ©volus, s’il Ă©tend ses regards au monde entier, n’en perçoit pas moins des ressemblances Ă©tonnantes, des rythmes trĂšs analogues Ă  des milliers de lieues de distance. La Chine des Ming, si cruellement ouverte aux guerres d’Asie, est plus proche de la France des Valois, assurĂ©ment, que la Chine de Mao TsĂ©toung ne l’est de la France de la Ve RĂ©publique. N’oublions pas d’ailleurs que mĂȘme Ă  cette Ă©poque, les techniques voyagent. Les exemples seraient innombrables. Mais lĂ  n’est pas le grand ouvrier de l’uniformitĂ©. L’homme, en vĂ©ritĂ©, reste toujours prisonnier d’une limite, dont il ne s’évade guĂšre. Cette limite, variable dans le temps, elle est sensiblement la mĂȘme, d’un bout Ă  l’autre de la terre, et c’est elle qui marque de son sceau uniforme toutes les expĂ©riences humaines, quelle que soit l’époque considĂ©rĂ©e. Au Moyen Age, au XVIe siĂšcle encore, la mĂ©diocritĂ© des techniques, des outils, des machines, la raretĂ© des animaux domestiques ramĂšnent toute activitĂ© Ă  l’homme lui-mĂȘme, Ă  ses forces, Ă  son travail; or, l’homme, lui aussi, partout, est rare, fragile, de vie chĂ©tive et courte. Toutes les activitĂ©s, toutes les civilisations s’éploient ainsi dans un domaine Ă©troit de possibilitĂ©s. Ces contraintes enveloppent toute aventure, la restreignent Ă  l’avance, lui donnent, en profondeur, un air de parentĂ© Ă  travers espace et temps, car le temps fut lent Ă  dĂ©placer ces bornes. Justement, la rĂ©volution, le bouleversement essentiel du temps prĂ©sent, c’est l’éclatement de ces enveloppes » anciennes, de ces contraintes multiples. A ce bouleversement, rien n’échappe. C’est la nouvelle civilisation, et elle met Ă  l’épreuve toutes les civilisations. Mais entendons-nous sur cette expression le temps prĂ©sent. Ne le jugeons pas, ce prĂ©sent, Ă  l’échelle de nos vies individuelles, comme ces tranches journaliĂšres, si minces, insignifiantes, translucides, que reprĂ©sentent nos existences personnelles. A l’échelle des civilisations et mĂȘme de toutes les constructions collectives, c’est d’autres mesures qu’il faut se servir, pour les comprendre ou les saisir. Le prĂ©sent de la civilisation d’aujourd’hui est cette Ă©norme masse de temps dont l’aube se marquerait avec le XVIIIe siĂšcle et dont la nuit n’est pas encore proche. Vers 1750, le monde, avec ses multiples civilisations, s’est engagĂ© dans une sĂ©rie de bouleversements, de catastrophes en chaĂźne elles ne sont pas l’apanage de la seule civilisation occidentale. Nous y sommes encore, aujourd’hui. Cette rĂ©volution, ces troubles rĂ©pĂ©tĂ©s, repris, ce n’est pas seulement la rĂ©volution industrielle, c’est aussi une rĂ©volution scientifique mais qui ne touche qu’aux sciences objectives, d’oĂč un monde boiteux tant que les sciences de l’homme n’auront pas trouvĂ© leur vrai chemin d’efficacitĂ©, une rĂ©volution biologique enfin, aux causes multiples, mais au rĂ©sultat Ă©vident, toujours le mĂȘme une inondation humaine comme la planĂšte n’en a jamais vue. BientĂŽt trois milliards d’humains ils Ă©taient Ă  peine 300 millions en 1400. Si l’on ose parler de mouvement de l’Histoire, ce sera, ou jamais, Ă  propos de ces marĂ©es conjuguĂ©es, omniprĂ©sentes. La puissance matĂ©rielle de l’homme soulĂšve le monde, soulĂšve l’homme, l’arrache Ă  lui- mĂȘme, le pousse vers une vie inĂ©dite. Un historien habituĂ© Ă  une Ă©poque relativement proche le XVIe siĂšcle par exemple a le sentiment, dĂšs le XVIIIe, d’aborder une planĂšte nouvelle. Justement, les voyages aĂ©riens de l’actualitĂ© nous ont habituĂ©s Ă  l’idĂ©e fausse de limites infranchissables que l’on franchit un beau jour la limite de la vitesse du son, la limite d’un magnĂ©tisme terrestre qui envelopperait la Terre Ă  8 000 km de distance. De telles limites, peuplĂ©es de monstres, coupĂšrent hier, Ă  la fin du XVe siĂšcle, l’espace Ă  conquĂ©rir de l’Atlantique
 Or, tout se passe comme si l’humanitĂ©, sans s’en rendre compte toujours, avait franchi du XVIIIe siĂšcle Ă  nos jours une de ces zones difficiles, une de ces barriĂšres qui d’ailleurs se dressent encore devant elle, dans telle ou telle partie du monde. Ceylan vient seulement de connaĂźtre, avec les merveilles de la mĂ©decine, la rĂ©volution biologique qui bouleverse le monde, en somme la prolongation miraculeuse de la vie. Mais la chute du taux de natalitĂ©, qui accompagne gĂ©nĂ©ralement cette rĂ©volution, n’a pas encore touchĂ© l’üle, oĂč ce taux reste trĂšs haut, naturel, Ă  son maximum
 Ce phĂ©nomĂšne se retrouve dans maints pays, telle l’AlgĂ©rie. Aujourd’hui seulement, la Chine connaĂźt sa vĂ©ritable entrĂ©e, massive, dans la vie industrielle. La France s’y enfonce Ă  corps perdu. Est-il besoin de dire que ce temps nouveau rompt avec les vieux cycles et les traditionnelles habitudes de l’homme? Si je m’élĂšve si fortement contre les idĂ©es de Spengler ou de Toynbee, c’est qu’elles ramĂšnent obstinĂ©ment l’humanitĂ© Ă  ses heures anciennes, pĂ©rimĂ©es, au dĂ©jĂ  vu. Pour accepter que les civilisations d’aujourd’hui rĂ©pĂštent le cycle de celle des Incas, ou de telle autre, il faut avoir admis, au prĂ©alable, que ni la technique, ni l’économie, ni la dĂ©mographie n’ont grand-chose Ă  voir avec les civilisations. En fait, l’homme change d’allure. La civilisation, les civilisations, toutes nos activitĂ©s, les matĂ©rielles, les spirituelles, les intellectuelles, en sont affectĂ©es. Qui peut prĂ©voir ce que seront demain le travail de l’homme et son Ă©trange compagnon, le loisir de l’homme? Ce que sera sa religion, prise entre la tradition, l’idĂ©ologie, la raison ? Qui peut prĂ©voir ce que deviendront, au-delĂ  des formules actuelles, les explications de la science objective de demain, ou le visage que prendront les sciences humaines, dans l’enfance encore, aujourd’hui ? Dans le large prĂ©sent encore en devenir, une Ă©norme diffusion » est donc Ă  l’oeuvre. Elle ne brouille pas seulement le jeu ancien et calme des civilisations les unes par rapport aux autres; elle brouille le jeu de chacune par rapport Ă  elle-mĂȘme. Cette diffusion, nous l’appelons encore, dans notre orgueil d’Occidentaux, le rayonnement de notre civilisation sur le reste du monde. A peine peut-on excepter de ce rayonnement, Ă  dire d’expert, les indigĂšnes du centre de la Nouvelle-GuinĂ©e, ou ceux de l’Est himalayen. Mais cette diffusion en chaĂźne, si l’Occident en a Ă©tĂ© l’animateur, lui Ă©chappe dĂ©sormais, de toute Ă©vidence. Ces rĂ©volutions existent maintenant en dehors de nous. Elles sont la vague qui grossit dĂ©mesurĂ©ment la civilisation de base du monde. Le temps prĂ©sent, c’est avant tout cette inflation de la civilisation et, semble-t-il, la revanche, dont le terme ne s’aperçoit pas, du singulier sur le pluriel. Semble-t-il. Car je l’ai dĂ©jĂ  dit cette nouvelle contrainte ou cette nouvelle libĂ©ration, en tout cas cette nouvelle source de conflits et cette nĂ©cessitĂ© d’adaptations, si elles frappent le monde tout entier, y provoquent des mouvements trĂšs divers. On imagine sans peine les bouleversements que la brusque irruption de la technique et de toutes les accĂ©lĂ©rations qu’elle entraĂźne peut faire naĂźtre dans le jeu interne de chaque civilisation, Ă  l’intĂ©rieur de ses propres limites, matĂ©rielles ou spirituelles. Mais ce jeu n’est pas clair, il varie avec chaque civilisation, et chacune, vis-Ă -vis de lui, sans le vouloir, du fait de rĂ©alitĂ©s trĂšs anciennes et rĂ©sistantes parce qu’elles sont sa structure mĂȘme, chacune se trouve placĂ©e dans une position particuliĂšre. C’est du conflit ou de l’accord entre attitudes anciennes et nĂ©cessitĂ©s nouvelles, que chaque peuple fait journellement son destin, son actualitĂ© ». Quelles civilisations apprivoiseront, domestiqueront, humaniseront la machine et aussi ces techniques sociales dont parlait Karl Mannheim dans le pronostic lucide et sage, un peu triste, qu’il risquait en 1943, ces techniques sociales que nĂ©cessite et provoque le gouvernement des masses mais qui, dangereusement, augmentent le pouvoir de l’homme sur l’homme? Ces techniques seront-elles au service de minoritĂ©s, de technocrates, ou au service de tous et donc de la libertĂ©? Une lutte fĂ©roce, aveugle, est engagĂ©e sous divers noms, selon divers fronts, entre les civilisations et la civilisation. Il s’agit de dompter, de canaliser celle-ci, de lui imposer un humanisme neuf. Dans cette lutte d’une ampleur nouvelle il ne s’agit plus de remplacer d’un coup de pouce une aristocratie par une bourgeoisie, ou une bourgeoisie ancienne par une presque neuve, ou bien des peuples insupportables par un Empire sage et morose, ou bien une religion qui se dĂ©fendra toujours par une idĂ©ologie universelle , dans cette lutte sans prĂ©cĂ©dent, bien des structures culturelles peuvent craquer, et toutes Ă  la fois. Le trouble a gagnĂ© les grandes profondeurs et toutes les civilisations, les trĂšs vieilles ou plutĂŽt les trĂšs glorieuses, avec pignon sur les grandes avenues de l’Histoire, les plus modestes Ă©galement. De ce point de vue, le spectacle actuel le plus excitant pour l’esprit est sans doute celui des cultures en transit » de l’immense Afrique noire, entre le nouvel ocĂ©an Atlantique, le vieil ocĂ©an Indien, le trĂšs vieux Sahara et, vers le Sud, les masses primitives de la forĂȘt Ă©quatoriale. Cette Afrique noire a sans doute, pour tout ramener une fois de plus Ă  la diffusion, ratĂ© ses rapports anciens avec l’Égypte et avec la MĂ©diterranĂ©e. Vers l’ocĂ©an Indien se dressent de hautes montagnes. Quant Ă  l’Atlantique, il a Ă©tĂ© longtemps vide et il a fallu, aprĂšs le XVe siĂšcle, que l’immense Afrique basculĂąt vers lui pour accueillir ses dons et ses mĂ©faits. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de changĂ© dans l’Afrique noire c’est, tout Ă  la fois, l’intrusion des machines, la mise en place d’enseignements, la poussĂ©e de vraies villes, une moisson d’efforts passĂ©s et prĂ©sents, une occidentalisation qui a fait largement brĂšche, bien qu’elle n’ait certes pas pĂ©nĂ©trĂ© jusqu’aux moelles les ethnographes amoureux de l’Afrique noire, comme Marcel Griaule, le savent bien. Mais l’Afrique noire est devenue consciente d’elle-mĂȘme, de sa conduite, de ses possibilitĂ©s. Dans quelles conditions ce passage s’opĂšre-t-il, au prix de quelles souffrances, avec quelles joies aussi, vous le sauriez en vous y rendant. Au fait, si j’avais Ă  chercher une meilleure comprĂ©hension de ces difficiles Ă©volutions culturelles, au lieu de prendre comme champ de bataille les derniers jours de Byzance, je partirais vers l’Afrique noire. Avec enthousiasme. E n vĂ©ritĂ©, aurions-nous aujourd’hui besoin d’un nouveau, d’un troisiĂšme mot, en dehors de culture et de civilisation dont, les uns ou les autres, nous ne voulons plus faire une Ă©chelle des valeurs? En ce milieu du XXe siĂšcle, nous avons insidieusement besoin, comme le XVIIIe siĂšcle Ă  sa mi-course, d’un mot nouveau pour conjurer pĂ©rils et catastrophes possibles, dire nos espoirs tenaces. Georges Friedmann, et il n’est pas le seul, nous propose celui d’humanisme moderne. L’homme, la civilisation, doivent surmonter la sommation de la machine, mĂȘme de la machinerie l’automation qui risque de condamner l’homme aux loisirs forcĂ©s. Un humanisme, c’est une façon d’espĂ©rer, de vouloir que les hommes soient fraternels les uns Ă  l’égard des autres et que les civilisations, chacune pour son compte, et toutes ensemble, se sauvent et nous sauvent. C’est accepter, c’est souhaiter que les portes du prĂ©sent s’ouvrent largement sur l’avenir, au-delĂ  des faillites, des dĂ©clins, des catastrophes que prĂ©disent d’étranges prophĂštes les prophĂštes relĂšvent tous de la littĂ©rature noire. Le prĂ©sent ne saurait ĂȘtre cette ligne d’arrĂȘt que tous les siĂšcles, lourds d’éternelles tragĂ©dies, voient devant eux comme un obstacle, mais que l’espĂ©rance des hommes ne cesse, depuis qu’il y a des hommes, de franchir. © Le Temps stratĂ©gique, No 82, GenĂšve, juillet-aoĂ»t 1998 ADDENDA Sur Braudel Son premier mĂ©rite, c’est qu’il a vraiment compris qu’au vingtiĂšme siĂšcle, il fallait faire une histoire au-delĂ  de l’hexagone, au-delĂ  des problĂšmes français, qu’il fallait absolument percevoir les problĂšmes europĂ©ens et, pour reprendre une expression qui n’existait pas encore quand il a Ă©crit La MĂ©diterranĂ©e, les problĂšmes du tiers monde, et mĂȘme avoir une vision planĂ©taire. Sa vision mondiale de l’Histoire Je crois que son grand mĂ©rite a Ă©tĂ© de comprendre qu’il y avait une Ă©volution irrĂ©pressible, que personne ne pouvait contenir, pour sortir de cette espĂšce d’europĂ©o-centrisme qui avait fonctionnĂ© Ă  plein au XIXe siĂšcle et Ă  l’époque coloniale, et encore pendant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, et qu’il fallait dĂ©sormais avoir vraiment une vision mondiale de l’histoire. Son histoire Ă  plusieurs temps Son second mĂ©rite 
 a Ă©tĂ© de mettre en relation les Ă©vĂ©nements historiques et les Ă©vĂ©nements Ă  plus longue durĂ©e, disons les Ă©vĂ©nements anthropologiques, et ainsi de concevoir qu’il y a plusieurs temps dans l’histoire. Il y a un temps court, celui des Ă©vĂ©nements; cela ne correspond d’ailleurs pas du tout Ă  sa pensĂ©e de dire qu’il a rejetĂ© l’évĂ©nement, mais il a toujours considĂ©rĂ© qu’il fallait ĂȘtre capable d’aller plus loin que les Ă©vĂ©nements, de comprendre ce qui les provoquait, mĂȘme quand il s’agissait d’évĂ©nements aussi dramatiques que la RĂ©volution française par exemple. Et puis il y a ce qu’il a appelĂ© la longue durĂ©e et cela a Ă©tĂ© une idĂ©e trĂšs importante 
 Sa mise en scĂšne du social D’une façon plus gĂ©nĂ©rale, il a introduit non seulement l’histoire sociale mais le rĂŽle des sociĂ©tĂ©s dans l’histoire Ă©conomique. On avait tendance Ă  compartimenter les choses, avec, disons, une histoire des Ă©vĂ©nements, des gouvernements et des chancelleries; une histoire plus sociale et une histoire Ă©conomique, celle-ci tendant Ă  ĂȘtre en quelque sorte autonome par rapport aux autres, mĂȘme si on essayait d’en tirer des enseignements pour les deux autres. Je crois que Braudel a beaucoup veillĂ© Ă  introduire les changements sociaux, les modifications des sociĂ©tĂ©s, dans l’histoire Ă©conomique. » Pierre Daix, in Regards », Paris, No 7, novembre 1995, Ă  propos du livre qu’il venait d’écrire Braudel Paris, Flammarion, 1995. Ibn Khaldoun, prĂ©curseur mĂ©diĂ©val de l’histoire des civilisations Ibn Khaldoun 1331-1406, historien maghrĂ©bin, a Ă©tĂ© l’un des premiers thĂ©oriciens de l’histoire des civilisations. Arnold Toynbee dit de lui qu’il a conçu et formulĂ© une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais Ă©tĂ© créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays. » VĂ©rifier les faits investiguer les causes » Dans la Muqadimma, introduction en trois volumes de son Kitab al-Ibar Histoire des Arabes, des Persans et des BerbĂšres, Ibn Khaldoun Ă©crit J’ai suivi un plan original pour Ă©crire l’Histoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un systĂšme tout Ă  fait Ă  moi 
 en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et Ă  l’établissement des villes ». Il est conscient que sa dĂ©marche novatrice qui rompt avec l’interprĂ©tation religieuse de l’histoire Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette matiĂšre formeront une science nouvelle 
 C’est une science sui generis car elle a d’abord un objet spĂ©cial la civilisation et la sociĂ©tĂ© humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent Ă  expliquer successivement les faits qui se rattachent Ă  l’essence mĂȘme de la sociĂ©tĂ©. Tel est le caractĂšre de toutes les sciences, tant celles qui s’appuient sur l’autoritĂ© que celles qui sont fondĂ©es sur la raison. » Tout au long de son oeuvre, il souligne la discipline Ă  laquelle doivent s’astreindre ceux qui exercent le mĂ©tier d’historien l’examen et la vĂ©rification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la maniĂšre dont les Ă©vĂ©nements se sont passĂ©s et dont ils ont pris naissance. » Les empires durent environ 120 ans » Ibn Khaldoun n’a le loisir d’étudier que le monde arabo-musulman l’Andalousie, le Maghreb, le Machreq. C’est donc dans ce cadre limitĂ© qu’il Ă©labore sa thĂ©orie cyclique des civilisations rurales ou bĂ©douines umran badawi et urbaines umran hadari. Pour lui, les civilisations sont portĂ©es par des tribus qui fondent dynasties et empires. » Les empires ainsi que les hommes ont leur vie propre 
 Ils grandissent, ils arrivent Ă  l’ñge de maturitĂ©, puis ils commencent Ă  dĂ©cliner 
 En gĂ©nĂ©ral, la durĂ©e de vie [des empires] 
 ne dĂ©passe pas trois gĂ©nĂ©rations 120 ans environ. » Ibn Khaldoun, conseiller auprĂšs de deux sultans maghrĂ©bins, grand juge cadi au Caire, put observer de l’intĂ©rieur l’émergence du pouvoir politique et sa confrontation Ă  la durĂ©e historique. Ibn Khaldoun est considĂ©rĂ© comme l’un des fondateurs de la sociologie politique. Sources Discours sur l’histoire universelle Al Muqadimma, par Ibn Khaldoun, traduit de l’arabe par Vincent Monteil Paris/Arles, Sindbad/Actes Sud, 3e Ă©dition, 1997 et Ibn Khaldoun naissance de l’histoire, passĂ© du tiers monde, par Yves Lacoste Paris, François Maspero, 1978, rééditĂ© chez La DĂ©couverte, 1998. De quelques noms citĂ©s Georges Friedmann 1902-1977, philosophe français, est surtout connu pour ses travaux de sociologue du travail. ConsidĂ©rĂ© comme un des plus importants rĂ©novateurs français des sciences sociales de l’aprĂšs-guerre, il eut recours aux outils d’analyse marxistes pour observer les grands bouleversements Ă  l’oeuvre dans la sociĂ©tĂ© industrielle. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont TraitĂ© de sociologie du travail coauteur avec Pierre Naville, Paris, A. Colin, 1961-1962, Humanisme du travail et humanitĂ©s Paris, A. Colin, 1950, OĂč va le travail humain? Paris, Gallimard, 1970. Le bon vieux temps du Dakar-Djibouti Marcel Griaule 1898-1956, ethnologue français, fut engagĂ© dans de nombreuses recherches de terrain couvrant notamment l’Abyssinie, le Soudan français et le Tchad. Il fut Ă©galement Ă  la tĂȘte de la mission ethnographique Dakar-Djibouti 1931-1933 et titulaire en 1942 de la premiĂšre chaire d’ethnologie Ă  la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages sur la mĂ©thode ethnographique, il s’est particuliĂšrement intĂ©ressĂ© Ă  l’ethnie Dogon Mali. Charles Seignobos 1854-1942 historien français, auteur en particulier d’une Histoire politique de l’Europe contemporaine 1897. ConsidĂ©rant que tout ce qui n’est pas prouvĂ© doit rester provisoirement douteux », Seignobos fut partisan d’une histoire superficielle et Ă©vĂ©nementielle. Cette vision positiviste » rencontra de vives contestations auprĂšs d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’historiens pour qui la nĂ©cessitĂ© d’approfondir les phĂ©nomĂšnes devait permettre une comprĂ©hension plus globale de l’histoire. Une culture naĂźt au moment oĂč une grande Ăąme se rĂ©veille » Oswald Spengler, 1880-1936, philosophe allemand, est l’auteur du cĂ©lĂšbre DĂ©clin de l’Occident 1916-1920, ouvrage qui eut un Ă©cho Ă  la mesure de l’effondrement de l’empire allemand. Spengler expose dans son ouvrage une philosophie pessimiste de l’histoire, en opposition Ă  l’idĂ©ologie de progrĂšs dominant Ă  l’époque. Selon lui, l’Occident serait entrĂ© dĂšs les dĂ©buts du XXe siĂšcle dans sa phase de dĂ©clin. Au-delĂ , Spengler propose une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale et cyclique des huit principales civilisations et des innombrables cultures du monde. Pour lui, il n’existe pas de sens gĂ©nĂ©ral de l’histoire juste des successions de cycles similaires au cycle biologique. Pour lui, les unitĂ©s de base de l’histoire sont les cultures dont il dit qu’elles sont de vĂ©ritables organismes vivants Une culture naĂźt au moment oĂč une grande Ăąme se rĂ©veille, se dĂ©tache de l’état psychique primaire d’éternelle enfance humaine, forme issue de l’informe, limite et caducitĂ© sorties de l’infini et de la durĂ©e. Elle croĂźt sur le sol d’un paysage exactement dĂ©limitable, auquel elle reste liĂ©e comme la plante. Une culture meurt quand l’ñme a rĂ©alisĂ© la somme entiĂšre de ses possibilitĂ©s, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d’arts, d’États, de sciences, et qu’elle retourne ainsi Ă  l’état psychique primaire. » Le nazisme tenta de rĂ©cupĂ©rer les conceptions philosophiques de Spengler, puis finit par les critiquer. De l’action civilisatrice des minoritĂ©s crĂ©atrices » Arnold Toynbee 1889-1975, historien britannique, est l’auteur d’une somme monumentale, Study of History Étude de l’histoire, publiĂ©e en douze volumes entre 1934 et 1961. DĂ©nombrant 26 civilisations, il dĂ©veloppe une conception cyclique de leur Ă©volution. Pour lui, les civilisations naissent de l’action de minoritĂ©s crĂ©atrices » et passent toutes par des Ă©tapes de croissance, de rupture breakdown puis de dĂ©sintĂ©gration. Son oeuvre tĂ©moigne d’une vision non-europĂ©ocentrique de l’histoire. Paul ValĂ©ry 1871-1945, Ă©crivain français proche du poĂšte MallarmĂ©, entrĂ© en 1925 Ă  l’AcadĂ©mie française, est l’auteur d’une phrase cĂ©lĂšbre sur le destin des civilisations Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » VariĂ©tĂ© I, La crise de l’esprit, p. 1. Paris, Gallimard, 1978. Pour une histoire des civilisations Grammaire des civilisations, par Fernand Braudel. Paris, Arthaud, 1987. L’Histoire, un essai d’interprĂ©tation, par Arnold Toynbee version abrĂ©gĂ©e de A Study of History traduit de l’anglais par Elisabeth Julia. Paris, Gallimard, 1951. Le DĂ©clin de l’Occident, par Oswald Spengler traduit de l’allemand par M. Tazerout. Paris, 2 volumes, Gallimard, 1931-1933. Culture and History, prolegomena to the comparative study of civilizations, par Philip Bagby. Westport, Conn., Greenwood Press, 1976. Grandeur et dĂ©cadence des civilisations, par Shepard Bancroft Clough. Paris, Payot, 1954.
Un soir oĂč la mer pĂ©nĂštre Dans les pays de montagne Un soir oĂč on est plus jeune que sa jeunesse, Un soir oĂč l’on a beaucoup souffert mais oĂč plus rien Plus rien n’est vain, plus rien n’est pour la cendre.; Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic
par Paul ValĂ©ry 1871-1945, La Crise de l’esprit 1919 Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et leurs sciences pures et appliquĂ©es ; avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions Ă  travers l’épaisseur de l’histoire, les fantĂŽmes d’immenses navires qui furent chargĂ©s de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, aprĂšs tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone Ă©taient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence mĂȘme. Mais France, Angleterre, Russie
 ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abĂźme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les oeuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les oeuvres de MĂ©nandre ne sont plus du tout inconcevables elles sont dans les journaux. ⁂ Ce n’est pas tout. La brĂ»lante leçon est plus complĂšte encore. Il n’a pas suffi Ă  notre gĂ©nĂ©ration d’apprendre par sa propre expĂ©rience comment les plus belles choses et les plus antiques, et les plus formidables et les mieux ordonnĂ©es sont pĂ©rissables par accident ; elle a vu, dans l’ordre de la pensĂ©e, du sens commun, et du sentiment, se produire des phĂ©nomĂšnes extraordinaires, des rĂ©alisations brusques de paradoxes, des dĂ©ceptions brutales de l’évidence. Je n’en citerai qu’un exemple les grandes vertus des peuples allemands ont engendrĂ© plus de maux que l’oisivetĂ© jamais n’a créé de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l’instruction la plus solide, la discipline et l’application les plus sĂ©rieuses, adaptĂ©s Ă  d’épouvantables desseins. Tant d’horreurs n’auraient pas Ă©tĂ© possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anĂ©antir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualitĂ©s morales. Savoir et Devoir, vous ĂȘtes donc suspects ? ⁂ Ainsi la PersĂ©polis spirituelle n’est pas moins ravagĂ©e que la Suse matĂ©rielle. Tout ne s’est pas perdu, mais tout s’est senti pĂ©rir. Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l’Europe. Elle a senti, par tous ses noyaux pensants, qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle cessait de se ressembler, qu’elle allait perdre conscience — une conscience acquise par des siĂšcles de malheurs supportables, par des milliers d’hommes du premier ordre, par des chances gĂ©ographiques, ethniques, historiques innombrables. Alors, — comme pour une dĂ©fense dĂ©sespĂ©rĂ©e de son ĂȘtre et de son avoir physiologiques, toute sa mĂ©moire lui est revenue confusĂ©ment. Ses grands hommes et ses grands livres lui sont remontĂ©s pĂȘle-mĂȘle. Jamais on n’a tant lu, ni si passionnĂ©ment que pendant la guerre demandez aux libraires. Jamais on n’a tant priĂ©, ni si profondĂ©ment demandez aux prĂȘtres. On a Ă©voquĂ© tous les sauveurs, les fondateurs, les protecteurs, les martyrs, les hĂ©ros, les pĂšres des patries, les saintes hĂ©roĂŻnes, les poĂštes nationaux
 Et dans le mĂȘme dĂ©sordre mental, Ă  l’appel de la mĂȘme angoisse, l’Europe cultivĂ©e a subi la reviviscence rapide de ses innombrables pensĂ©es dogmes, philosophies, idĂ©aux hĂ©tĂ©rogĂšnes ; les trois cents maniĂšres d’expliquer le Monde, les mille et une nuances du christianisme, les deux douzaines de positivismes tout le spectre de la lumiĂšre intellectuelle a Ă©talĂ© ses couleurs incompatibles, Ă©clairant d’une Ă©trange lueur contradictoire l’agonie de l’ñme europĂ©enne. Tandis que les inventeurs cherchaient fiĂ©vreusement dans leurs images, dans les annales des guerres d’autrefois, les moyens de se dĂ©faire des fils de fer barbelĂ©s, de dĂ©jouer les sous-marins ou de paralyser les vols des avions, l’ñme invoquait Ă  la fois toutes les puissances transcendantes, prononçait toutes les incantations qu’elle savait, considĂ©rait sĂ©rieusement les plus bizarres prophĂ©ties ; elle se cherchait des refuges, des indices, des consolations dans le registre entier des souvenirs, des actes antĂ©rieurs, des attitudes ancestrales. Et ce sont lĂ  les produits connus de l’anxiĂ©tĂ©, les entreprises dĂ©sordonnĂ©es du cerveau qui court du rĂ©el au cauchemar et retourne du cauchemar au rĂ©el, affolĂ© comme le rat tombĂ© dans la trappe
 La crise militaire est peut-ĂȘtre finie. La crise Ă©conomique est visible dans toute sa force ; mais la crise intellectuelle, plus subtile, et qui, par sa nature mĂȘme, prend les apparences les plus trompeuses puisqu’elle se passe dans le royaume mĂȘme de la dissimulation, cette crise laisse difficilement saisir son vĂ©ritable point, sa phase. Personne ne peut dire ce qui demain sera mort ou vivant en littĂ©rature, en philosophie, en esthĂ©tique. Nul ne sait encore quelles idĂ©es et quels modes d’expression seront inscrits sur la liste des pertes, quelles nouveautĂ©s seront proclamĂ©es. L’espoir, certes, demeure et chante Ă  demi-voix Et cum vorandi vicerit libidinem Late triumphet imperator spiritus Mais l’espoir n’est que la mĂ©fiance de l’ĂȘtre Ă  l’égard des prĂ©visions prĂ©cises de son esprit. Il suggĂšre que toute conclusion dĂ©favorable Ă  l’ĂȘtre doit ĂȘtre une erreur de son esprit. Les faits, pourtant, sont clairs et impitoyables. Il y a des milliers de jeunes Ă©crivains et de jeunes artistes qui sont morts. Il y a l’illusion perdue d’une culture europĂ©enne et la dĂ©monstration de l’impuissance de la connaissance Ă  sauver quoi que ce soit ; il y a la science, atteinte mortellement dans ses ambitions morales, et comme dĂ©shonorĂ©e par la cruautĂ© de ses applications ; il y a l’idĂ©alisme, difficilement vainqueur, profondĂ©ment meurtri, responsable de ses rĂȘves ; le rĂ©alisme déçu, battu, accablĂ© de crimes et de fautes ; la convoitise et le renoncement Ă©galement bafouĂ©s ; les croyances confondues dans les camps, croix contre croix, croissant contre croissant ; il y a les sceptiques eux-mĂȘmes dĂ©sarçonnĂ©s par des Ă©vĂ©nements si soudains, si violents, si Ă©mouvants, et qui jouent avec nos pensĂ©es comme le chat avec la souris, — les sceptiques perdent leurs doutes, les retrouvent, les reperdent, et ne savent plus se servir des mouvements de leur esprit. L’oscillation du navire a Ă©tĂ© si forte que les lampes les mieux suspendues se sont Ă  la fin renversĂ©es. ⁂ Ce qui donne Ă  la crise de l’esprit sa profondeur et sa gravitĂ©, c’est l’état dans lequel elle a trouvĂ© le patient. Je n’ai ni le temps ni la puissance de dĂ©finir l’état intellectuel de l’Europe en 1914. Et qui oserait tracer un tableau de cet Ă©tat ? Le sujet est immense ; il demande des connaissances de tous les ordres, une information infinie. Lorsqu’il s’agit, d’ailleurs, d’un ensemble aussi complexe, la difficultĂ© de reconstituer le passĂ©, mĂȘme le plus rĂ©cent, est toute comparable Ă  la difficultĂ© de construire l’avenir, mĂȘme le plus proche ; ou plutĂŽt, c’est la mĂȘme difficultĂ©. Le prophĂšte est dans le mĂȘme sac que l’historien. Laissons-les-y. Mais je n’ai besoin maintenant que du souvenir vague et gĂ©nĂ©ral de ce qui se pensait Ă  la veille de la guerre, des recherches qui se poursuivaient, des Ɠuvres qui se publiaient. Si donc je fais abstraction de tout dĂ©tail, et si je me borne Ă  l’impression rapide, et Ă  ce total naturel que donne une perception instantanĂ©e, je ne vois — rien ! — Rien, quoique ce fĂ»t un rien infiniment riche. Les physiciens nous enseignent que dans un four portĂ© Ă  l’incandescence, si notre Ɠil pouvait subsister, il ne verrait — rien. Aucune inĂ©galitĂ© lumineuse ne demeure et ne distingue les points de l’espace. Cette formidable Ă©nergie enfermĂ©e aboutit Ă  l’invisibilitĂ©, Ă  l’égalitĂ© insensible. Or, une Ă©galitĂ© de cette espĂšce n’est autre chose que le dĂ©sordre Ă  l’état parfait. Et de quoi Ă©tait fait ce dĂ©sordre de notre Europe mentale ? — De la libre coexistence dans tous les esprits cultivĂ©s des idĂ©es les plus dissemblables, des principes de vie et de connaissance les plus opposĂ©s. C’est lĂ  ce qui caractĂ©rise une Ă©poque moderne. Je ne dĂ©teste pas de gĂ©nĂ©raliser la notion de moderne, et de donner ce nom Ă  certain mode d’existence, au lieu d’en faire un pur synonyme de contemporain. Il y a dans l’histoire des moments et des lieux oĂč nous pourrions nous introduire, nous modernes, sans troubler excessivement l’harmonie de ces temps-lĂ , et sans y paraĂźtre des objets infiniment curieux, infiniment visibles, des ĂȘtres choquants, dissonants, inassimilables. OĂč notre entrĂ©e ferait le moins de sensation, lĂ  nous sommes presque chez nous. Il est clair que la Rome de Trajan, et que l’Alexandrie des PtolĂ©mĂ©es nous absorberaient plus facilement que bien des localitĂ©s moins reculĂ©es dans le temps, mais plus spĂ©cialisĂ©es dans un seul type de mƓurs et entiĂšrement consacrĂ©es Ă  une seule race, Ă  une seule culture et Ă  un seul systĂšme de vie. Eh bien! l’Europe de 1914 Ă©tait peut-ĂȘtre arrivĂ©e Ă  la limite de ce modernisme. Chaque cerveau d’un certain rang Ă©tait un carrefour pour toutes les races de l’opinion ; tout penseur, une exposition universelle de pensĂ©es. Il y avait des Ɠuvres de l’esprit dont la richesse en contrastes et en impulsions contradictoires faisait penser aux effets d’éclairage insensĂ© des capitales de ce temps-lĂ  les yeux brĂ»lent et s’ennuient
 Combien de matĂ©riaux, combien de travaux, de calculs, de siĂšcles spoliĂ©s, combien de vies hĂ©tĂ©rogĂšnes additionnĂ©es a-t-il fallu pour que ce carnaval fĂ»t possible et fĂ»t intronisĂ© comme forme de la suprĂȘme sagesse et triomphe de l’humanitĂ© ? ⁂ Dans tel livre de cette Ă©poque — et non des plus mĂ©diocres — on trouve, sans aucun effort — une influence des ballets russes, — un peu du style sombre de Pascal, — beaucoup d’impressions du type Goncourt, quelque chose de Nietzsche, — quelque chose de Rimbaud, — certains effets dus Ă  la frĂ©quentation des peintres, et parfois le ton des publications scientifiques, — le tout parfumĂ© d’un je ne sais quoi de britannique difficile Ă  doser !
 Observons, en passant, que dans chacun des composants de cette mixture, on trouverait bien d’autres corps. Inutile de les rechercher ce serait rĂ©pĂ©ter ce que je viens de dire sur le modernisme, et faire toute l’histoire mentale de l’Europe. ⁂ Maintenant, sur une immense terrasse d’Elsinore, qui va de BĂąle Ă  Cologne, qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la Somme, aux craies de Champagne, aux granits d’Alsace, — l’Hamlet europĂ©en regarde des millions de spectres. Mais il est un Hamlet intellectuel. Il mĂ©dite sur la vie et la mort des vĂ©ritĂ©s. Il a pour fantĂŽmes tous les objets de nos controverses ; il a pour remords tous les titres de notre gloire ; il est accablĂ© sous le poids des dĂ©couvertes, des connaissances, incapable de se reprendre Ă  cette activitĂ© illimitĂ©e. Il songe Ă  l’ennui de recommencer le passĂ©, Ă  la folie de vouloir innover toujours. Il chancelle entre les deux abĂźmes, car deux dangers ne cessent de menacer le monde l’ordre et le dĂ©sordre. S’il saisit un crĂąne, c’est un crĂąne illustre. — Whose was it ? — Celui-ci fut Lionardo. Il inventa l’homme volant, mais l’homme volant n’a pas prĂ©cisĂ©ment servi les intentions de l’inventeur nous savons que l’homme volant montĂ© sur son grand cygne il grande uccello sopra del dosso del suo magnio cecero a, de nos jours, d’autres emplois que d’aller prendre de la neige Ă  la cime des monts pour la jeter, pendant les jours de chaleur, sur le pavĂ© des villes
 Et cet autre crĂąne est celui de Leibniz qui rĂȘva de la paix universelle. Et celui-ci fut Kant, Kant qui genuit Hegel, qui genuit Marx, qui genuit
 Hamlet ne sait trop que faire de tous ces crĂąnes. Mais s’il les abandonne !
 Va-t-il cesser d’ĂȘtre lui-mĂȘme ? Son esprit affreusement clairvoyant contemple le passage de la guerre Ă  la paix. Ce passage est plus obscur, plus dangereux que le passage de la paix Ă  la guerre ; tous les peuples en sont troublĂ©s. Et Moi, se dit-il, moi, l’intellect europĂ©en, que vais-je devenir ?
 Et qu’est-ce que la paix ? La paix est peut-ĂȘtre, l’état de choses dans lequel l’hostilitĂ© naturelle des hommes entre eux se manifeste par des crĂ©ations, au lieu de se traduire par des destructions comme fait la guerre. C’est le temps d’une concurrence crĂ©atrice, et de la lutte des productions. Mais Moi, ne suis-je pas fatiguĂ© de produire ? N’ai-je pas Ă©puisĂ© le dĂ©sir des tentatives extrĂȘmes et n’ai-je pas abusĂ© des savants mĂ©langes ? Faut-il laisser de cĂŽtĂ© mes devoirs difficiles et mes ambitions transcendantes ? Dois-je suivre le mouvement et faire comme Polonius, qui dirige maintenant un grand journal ? comme Laertes qui est quelque part dans l’aviation ? comme Rosenkrantz, qui fait je ne sais quoi sous un nom russe ? Adieu, fantĂŽmes ! Le monde n’a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde qui baptise du nom de progrĂšs sa tendance Ă  une prĂ©cision fatale, cherche Ă  unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion rĂšgne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ; nous verrons enfin apparaĂźtre le miracle d’une sociĂ©tĂ© animale, une parfaite et dĂ©finitive fourmiliĂšre. »
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Lectured'un extrait de Paul ValĂ©ry=== ABONNE-TOI === RETROUVE-MOI SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX ===TWITTER https://t
30 juillet 2011 6 30 /07 /juillet /2011 0947 Un lecteur a laissĂ© un commentaire sur le post prĂ©cĂ©dent, dont la pertinence est telle qu'elle me parait mĂ©riter une rĂ©ponse dĂ©taillĂ©e en post principal. Je me permets d'en recopier les passages pertinents Gilles et skept J'ai trouvĂ© sur ce site depuis peu quelques personnes que je comprends enfin et qui pensent, comme moi, que l'Ă©puisement des Ă©nergies fossiles qui est certain Ă  Ă©chĂ©ance connue est probablement un problĂšme plus urgent et plus mobilisateur que le RCA qui reste complexe Ă  comprendre. Alors que les lois de la physique et un esprit raisonnablement cartĂ©sien nous pousserait Ă  l'inverse. [ SIC la suite du commentaire me laisse penser que mon estimĂ© lecteur s'est un peu mĂ©langĂ© les pinceaux, il voulait dire probablement le contraire.... "comme nous y pousserait les lois de la physique et un esprit raisonnablement cartĂ©sien ..! ] Alors j'en profite, et j'aurais quelques questions Ă  vous poser qui me tracassent depuis un moment sans que personne, dans mon entourage, ne comprenne mĂȘme de quoi je parle alors y rĂ©pondre,... pouvez vous m'aidez Ă  Ă©claircir mes idĂ©es ? 1Pourquoi, Ă  votre avis, cet emballement politico-mĂ©diatique mondial sur le C02 et cette quasi "omerta" sur le Peak-Oil un peu moins depuis 1 an toutefois ? alors mĂȘme que la physique et un esprit raisonnablement cartĂ©sien nous pousserait au contraire 2Une question plus technique et moins cruciale que la 1°. Il semble y avoir sur ce blog une flopĂ©e de scientifiques, j'aimerai avoir leur avis sur la thĂ©orie de Svensmark Ă  propos de l'influence des rayonnements cosmiques sur la formation de nuages et donc sur le climat, la thĂ©orie est trĂšs "poĂ©tique" voire sĂ©duisante, Svensmark semble sĂ©rieux et compĂ©tent, mais je suis un peu mĂ©fiant vis Ă  vis de ses principaux promoteurs. Tient elle la route d'un point de vue scientifique ? .... Tout d'abord, Hema, comme on dit couramment Bienvenue au club ! Je vais d'abord rĂ©pondre rapidement Ă  l'hypothĂšse de Svensmark, qui a supposĂ© que l'activitĂ© solaire pouvait influencer la Terre en modulant le flux de rayonnement cosmiques frappant l'atmopshĂšre, ce qui changerait sa nĂ©bulositĂ© le mĂ©canisme Ă©tant donc assez complexe et loin de la simple augmentation de la puissance solaire actvitĂ© solaire-> plus grand champ magnĂ©tique-> moins de cosmique->moins de nuages-> plus de rayonnement arrivant au sol je n'ai pas d'avis a priori sur cette hypothĂšse; c'est une hypothĂšse Ă  Ă©tudier scientifiquement comme les autres. La critique principale est qu'il ne semble pas que les nuages soient influencĂ©s tant que ça par les rayons cosmiques, et de plus, les nuages peuvent avoir un effet inverse suivant leur composition et leur altitude, ils peuvent bloquer le rayonnement incident mais aussi augmenter l'effet de serre quand le ciel se couvre, il fait plus frais, mais une nuit nuageuse est moins froide qu'une nuit claire ! Mais il faut faire un certain nombre d'Ă©tudes complĂ©mentaires, dont l'expĂ©rience CLOUD, pour en ĂȘtre sĂ»r. On dĂ©couvrira peut etre aussi un autre phĂ©nomĂšne voisin mais diffĂ©rent dont on ne se doutait pas, ça arrive.... D'une façon gĂ©nĂ©rale, ces questions sont du ressort des climatologues, et je ne prĂ©tends pas l'ĂȘtre. L'avis que je donne ici est juste mon impression sur la "qualitĂ© gĂ©nĂ©rale" des preuves fournies, mais je respecte le travail des climatologues ayant Ă©tabli les faits dont il est question. Je suis Ă©galement assez mĂ©fiant vers les explications "c'est le Soleil", "c'est le mouvement des planĂštes", etc.. mon avis Ă©tant plutot qu'on donne trop confiance Ă  des explications dĂ©terministes par rapport Ă  la variabilitĂ© naturelle. Sur la question importante du "pourquoi", c'est Ă©galement une question que je me suis souvent posĂ©e. A priori, les deux crises, Ă©nergĂ©tiques et climatiques, jouent un rĂŽle comparable et devraient au moins le mĂȘme impact, mais en rĂ©alitĂ©, comme dit Hema, "les lois de la physique et un esprit cartĂ©sien" nous poussent Ă  donner un poids bien plus considĂ©rable Ă  l'effet des sources Ă©nergĂ©tiques sur notre sociĂ©tĂ© qu'aux variations climatiques. Toutes les corrĂ©lations connues montrent que le niveau de vie et les indicateurs humains pas seulement le PIB sont corrĂ©lĂ©s positivement Ă  la consommation Ă©nergĂ©tique, et ont peu Ă  voir avec la tempĂ©rature. On peut imaginer un seuil oĂč la variation climatique serait catastrophique, mais ce ne sont que des supputations tirĂ©es de thĂ©ories et de modĂšles informatiques compliquĂ©es, d'interprĂ©tation de donnĂ©es incertaines, alors que l'association entre sources d'Ă©nergie et niveau de vie est claire, Ă©vidente, historiquement, gĂ©ographiquement, et Ă©conomiquement clairement visible et incontestable. PrĂ©coniser de rĂ©duire les fossiles pour Ă©viter un changement de climat revient Ă  considĂ©rer qu' il est bien plus probable que nous sachions nous passer de fossiles plutot que nous sachions faire face aux consĂ©quences climatiques qu'ils produisent. Or cette assertion n'a strictement rien d'une Ă©vidence ! il ne s'agit pas ici de prouver qu'elle est fausse, il s'agit de s'interroger sur les bases sur lesquelles autant de gens l'adoptent comme une Ă©vidence, alors qu'il n'y a aucun fait clair qui le montre. De la mĂȘme façon que la question n'est pas de savoir si Dieu existe , mais de savoir pourquoi autant de gens y croient sans preuve, et de plus, curieusement, la plupart du temps sous la forme qui existe dans la sociĂ©tĂ© autour d'eux et pas sous la forme de ceux d'Ă  cĂŽtĂ© le trait le plus intrigant dans la religion n'est pas seulement la croyance, mais l'autocorrĂ©lation spatiale de cette croyance . C'est d'autant plus Ă©trange que non seulement il n'y a aucun fait qui le montre, mais que dans les pratiques Ă©conomiques, tout montre exactement le contraire. A commencer par le fait que nous cherchons constamment Ă  exploiter de nouvelles ressources fossiles, de plus en plus chĂšres et difficiles d'accĂšs, ce qui n'a aucun sens logique si la proposition prĂ©cĂ©dente est vraie, mais est totalement sensĂ© si elle est fausse. Bref le discours public AFFICHE une croyance et AGIT en fonction de la croyance inverse. Petit parallĂšle avec la religion on peut remarquer que beaucoup de reprĂ©sentants officiels de religions pronant en gĂ©nĂ©ral la simplicitĂ© et la pauvretĂ© volontaire n'ont pas rĂ©ellement agi comme si ils y croyaient eux-mĂȘmes ... Donc nous revenons Ă  la question d'Hema mais pourquoi afficher et "croire" la plupart du temps trĂšs sincĂšrement, lĂ  encore comme pour les religions autant Ă  une proposition si peu en rapport avec les faits connus, en en minimisant d'autres si Ă©videntes ? L'explication que je propose est qu'il y a une diffĂ©rence entre les deux dangers. Le danger Ă©nergĂ©tique, si nous ne savons pas le rĂ©soudre, est finalement mortel pour notre sociĂ©tĂ©. Si nous ne savons pas remplacer les fossiles, notre sociĂ©tĂ© s'Ă©teindra inexorablement, sous sa forme actuelle. Je ne parle pas du tout de disparition de l'humanitĂ©, je parle de la disparition du mode de vie qui caractĂ©rise la sociĂ©tĂ© moderne. Il porte donc en germe une idĂ©e insupportable, celle de la vieillesse et de la mort, une idĂ©e qui nous hante bien sĂ»r personnellement au cours de notre propre vie et que nous avons du mal Ă  admettre. Pire, il n'y a aucune morale derriĂšre ça. Ce n'est la faute de personne si les gisements s'Ă©puisent , ce sont des ressources finies, c'est tout. On pourrait ne plus les extraire, mais ça revient Ă  hĂąter la fin Ă  laquelle nous cherchons Ă  Ă©chapper. Il n'y a pas d'Ă©chappatoire. le danger Ă©nergĂ©tique nous met en face du tragique de l'existence humaine. Le danger climatique, lui , est bien diffĂ©rent. Nous y jouons un tout autre rĂŽle. Nous jouons un double jeu, doublement actif et non passif nous nous voyons comme la CAUSE principale de ce probleme, mais aussi comme le REMEDE potentiel. Nous sommes Ă  la fois une menace, et possiblement des hĂ©ros pouvant l'Ă©viter. Dans les deux cas, nous sommes maĂźtres de notre destin. MĂȘme notre caractĂšre menaçant flatte notre ego par notre capacitĂ© de nuisance - elle flatte notre illusion de toute puissance; le changement climatique met inconsciemment en scĂšne les histoires que nous aimons, les histoires de bons et de mĂ©chants, de Dr Jekyll et Mr Hyde, de Dark Vador et de Luke Skywalker. Elle parle Ă  notre inconscient. elle nous met au centre actif de l'histoire. Il est d'ailleurs frappant qu'une partie importante de la communautĂ© "piquiste" a developpĂ© une philosophie "survivaliste", ce qui permet de 'redramatiser" l'histoire. Le peak oil est alors perçu comme une catastrophe soudaine, plongeant le monde dans le chaos, un monde Ă  la Mad Max. LĂ  encore, cette mise en scĂšne permet de s'identifier au hĂ©ros solitaire, seul contre les Ă©lĂ©ments hostiles, et redonne une gratification narcissique Ă  notre individu si nous ne sommes pas capables de sauver la sociĂ©tĂ©, alors au moins, qu'on nous donne un rĂŽle qui nous permette de nous sauver nous-mĂȘmes ! Cependant, en gĂ©nĂ©ral, les gens prĂ©fĂšrent de beaucoup penser que nous trouverons des solutions techniques Ă  l'Ă©puisement des fossiles, mais qu'il ne tient qu'Ă  nous de le faire. D'oĂč la floraison dans l'esprit du public de toutes ces croyances Ă  l'existence de "solutions miracles" souvent inventĂ©es par des inventeurs gĂ©niaux et solitaires, persĂ©cutĂ©s par de grandes compagnies pĂ©troliĂšres et des Ă©tats accapareurs de taxes sur les carburants ..., et une tonalitĂ© gĂ©nĂ©rale du "si on veut on peut" dans tous les discours publics. Nous n'aimons pas qu'on nous dise que nous vieillissons, et encore moins que nous allons mourir, alors que ce sont deux certitudes incontestables. Seul le discours climatique nous permet de mettre en scĂšne les histoires que nous aimons nous raconter. Peut ĂȘtre faudrait-il changer la phrase de Paul ValĂ©ry "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles", en "Nous autres, civilisations, nous ne savons toujours pas que nous sommes mortelles " ... ???? Published by climatenergie - dans SociĂ©tĂ© 6DJG7HS. 241 135 149 192 185 342 92 156 15

nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles